Suspect 95 confirme son statut de fer-de-lance du rap Ivoire avec son nouveau projet Alchimiste, sorti le 1er novembre sous son label Le Syndicat. En 10 titres, il aborde avec humour, mais maturité des sujets de société, comme l’addiction à la drogue, mais aussi des sujets intimes, les à-côtés du succès et la paternité… Rencontre.
RFI Musique : Un an après un premier album, Société suspecte, encensé par la critique et le public, qu’avez-vous encore à prouver ?
Suspect 95 : Ah, on a tout à prouver ! La musique, le showbiz, l’industrie musicale, c’est se renouveler à chaque fois, c’est reprouver à chaque fois. Tu ne peux pas être assis sur tes acquis et te dire « Ouais, c’est bon, j’ai accompli. » Il y a des salles que j’ai envie de remplir, il y a des événements que j’ai envie de faire, il y a des stades que j’ai envie d’atteindre. Dans d’autres pays d’Afrique, en France, en Europe, sur des scènes non francophones… Donc il y a encore tout à prouver !
Le premier titre du projet s’appelle « Vie d’artiste ». Maintenant que vous avez rencontré le succès, comment est-elle justement, cette vie d’artiste ?
C’est un titre que j'ai voulu écrire pour montrer aux gens l’envers du décor. Entre le début de la carrière et les premiers accomplissements notables, ce que pensent la plupart des gens sur les réseaux sociaux est très différent de ce qui se passe en réalité. La popularité vient avant l’argent, c’est ça le showbiz. Tu te fais connaître, tu passes dans les médias, et les gens imaginent une rentabilité extraordinaire. J’ai voulu inciter à l’indulgence, le public vis-à-vis des artistes, montrer la réalité derrière le succès médiatique.
Ça a été votre cas ?
Totalement ! Quand je suis passé à la télévision, pour ma famille, mes amis, mon public, j’étais devenu riche du jour au lendemain. Alors qu’en réalité, je ne gagnais absolument rien ! Quand j’ai sorti le titre qui m’a révélé, « Enfant de boss », je vivais encore chez ma mère. Et puis le showbiz, c’est en dents de scie. Quand ça monte, on nous dit qu’on est le meilleur, et quand ça descend un peu, on nous abandonne rapidement et on est vomi de partout. Ceux qui restent fidèles sont bien souvent des fans de la première heure.
Pourtant, votre musique a beaucoup évolué, notamment dans ce dernier projet…
Oui, au début j’étais beaucoup plus égo trip, beaucoup plus prouveur. Beaucoup plus… street. Mais au fur et à mesure que ma carrière a évolué, j’ai commencé à avoir de nouvelles réalités. J’ai commencé à avoir une famille, des enfants… Ma réalité a changé.
C’est ce dont vous parlez dans le morceau « Ce qui t’attend » ?
C’est ce que j’appelle mon « morceau contraceptif » (rire). C’est pour dire aux gens : si tu veux faire des enfants, il faut être prêt à ce qui t’attend ! C’est fait avec humour, mais c’est une thématique sur laquelle je n’aurais pas chanté avant. J’étais plutôt dans les thématiques classiques du rap Ivoire, « je suis le meilleur », tout ça. Idem pour le titre « Holyghost », qui s’adresse aux personnes qui ont des addictions. Il y a quelques années, je n’aurais pas pris la peine de chanter ce genre de chanson. Maintenant que je suis entré dans le showbiz, où les addictions sont légion et où j’ai été témoin de beaucoup de choses, je suis plus à même d’aborder le sujet.
Vous avez donc évolué vers des textes plus profonds ?
Plus profonds, oui, plus sensibles aussi. Alchimiste est une sorte de mélange de ce que je fais de base, ce dans quoi les gens m’ont connu, c’est-à-dire l’ego trip, et de ce que j’ai envie de proposer maintenant. Même si j’ai évolué, j’ai toujours ça en moi. Et donc j’ai voulu faire ce petit mélange-là pour créer cette alchimie entre tout ce que je suis.
Justement, le titre « Alchimiste » vient du livre de Paulo Coelho, L’Alchimiste ?
Oui, c’est un livre qui… Je ne dirais pas qui a changé ma vie, mais qui m’a marqué personnellement, à travers cette histoire de quête, de « légende personnelle ». Et donc j’ai voulu faire un parallèle avec le titre du projet. Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais mis 50 interludes de passages qui m’ont touché ! Mais je n’ai pu en mettre que deux, ceux qui avaient un lien avec les morceaux. Comme celui-ci : « Une quête commence par la chance du débutant, et s'achève par l'épreuve du conquérant. »
Quel est votre état d’esprit en sortant ce nouveau projet ?
Pour mon premier album, Société suspecte, j’avais fait beaucoup de calculs, j’avais commencé la promo six mois avant. Mais Alchimiste, c’est un projet spontané. J’ai annoncé le projet deux semaines avant, j’ai sorti un clip une semaine avant… C’est une approche différente. Avant, j’aimais beaucoup le mystère, les énigmes… J’ai laissé tout ça.
Quand allez-vous interpréter ces nouveaux titres sur scène ?
On prépare un gros concert au Parc des Expositions, je ne vais pas donner la date. On prévoit aussi un concert en France en 2025. Mais c’est un projet en deux parties, et la suite arrivera très rapidement.
Avec des collaborations internationales ?
Oui, plus que pour « Alchimiste » où je suis resté à la maison. J’ai chanté avec Roseline Layo sur « Explications », qui est déjà une star, mais j’ai aussi voulu mettre en avant des artistes comme Kawid, Lord Samosa, Toto le Banzou et Arii, qui sont moins connus, mais dont j’apprécie le travail. Moi, je suis entré dans la lumière grâce à l’aide de certaines personnes, comme Bebi Philip qui m’a invité en 2012 sur son single « Demain t’appartient ». Je me suis dit que c’était le moment de donner à mon tour.
Un titre préféré dans le projet ?
Je n’aime pas cette question ! (rires) Parce que ça va influencer les gens. J’aime vraiment tout le projet. Ce n’est pas mon titre préféré, mais j’aime bien « Ce qui t’attend », parce qu’il me rappelle la réalité que j’ai vécue avec ma fille, c’est sentimental. Elle a six ans. Et elle, par contre, son titre préféré, c’est « Holyghost » ! Quand je l’emmène à l’école le matin, c’est toujours « Holyghost » qu’elle me réclame, même si elle ne comprend pas ce que ça veut dire. Je viens d’une famille chrétienne et on écoute beaucoup de chants religieux, donc ça la touche particulièrement. Mais elle ne comprend pas du tout « Ce qui t’attend », et tant mieux ! Sinon, elle va commencer à me poser des questions, et il y a des choses que je ne suis pas prêt à expliquer pour le moment (rire).
Par RFI
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